Petit article intéressant :
Technique MOTO GP : Voyage aux limites de la physique
Quelle est la vraie puissance d'une motoGP, quelle vitesse max, pourquoi les CRT sont si loin ?
Quelle est la vraie puissance d'une moto GP, quelle vitesse peut elle atteindre, pourquoi les CRT sont elles si loin, à combien de degrés sont inclinées les motos quand les coudes touchent par terre ? C'est en alignant des chiffres ô combien impressionnants comme on les manie ici, que l'on mesure à quel point « l'art est difficile ».
Passons quelques instants de l'autre côté du miroir pour mieux nous en rendre compte...
Puissance
Commençons par parler un peu puissance. Impossible de se fier aux chiffres annoncés, puisqu'ils sont invérifiables par définition et souvent issus de sources incertaines... même si Honda annonce 240 chevaux pour la RC213V et 240 chevaux pour 160 kilos également pour la Yamaha YZR M1 et "seulement" 235 chevaux pour la Desmodici GP 13. Des valeurs probablement mesurées à la roue AR (?)
Essayons donc de nous faire une petite idée par nous même. Notre référence sera la BMW S 1000 RR de série et ses 200 chevaux au vilebrequin. Chronométrée à 305 km/h, elle a atteint 317 km/h avec quelques modifications aérodynamiques mineures faites par nos confrères anglais de MCN (suppression des rétroviseurs, scotch judicieusement placé pour réduire les entrées d'air, braquet adapté... mais toujours en 200 chevaux). On peut considérer qu'ainsi modifiée, son aérodynamisme est proche de celui d'une machine de SBK, voire d'une motoGP.
317 km/h donc, à comparer aux 328 km/h enregistrés par les meilleurs machines de CRT (moteur issus de la série, en l’occurrence des Aprilia ART et des BMW Suter). A noter que les Superbikes qui profitent d'une réglementation sans restriction sur le nombre de moteurs, donc plus poussées, font légèrement mieux (331 /337 km/h à Monza pour BMW et Aprilia SBK).
La résistance aérodynamique évoluant avec le carré de la vitesse et la puissance consommée étant égale au produit de la résistance aérodynamique par cette même vitesse, on peut en déduire que la puissance évolue avec le cube de la vitesse ! De fait, s'il faut 200 chevaux pour atteindre 317 km/h en S 1000 RR, il en faut un peu plus de 220 pour atteindre 328 et environ 230 pour arriver à 332 avec une S 1000 RR de SBK (ici Chas Davies peaufinant sa position en soufflerie).
Si l'on applique la même règle de proportionnalité sur une moto GP atteignant 347 au Mugello, on dépasse un peu les 260 ch au vilebrequin. Des chiffres qui ne sont pas 100 % fiables, mais très certainement proches de la réalité. En effet, si l'écart peut sembler faible, entre série, CRT et prototypes, il est aussi dû aux restrictions d'essence imposées aux prototypes (21 litres au lieu de 24 pour les CRT) et au nombre de moteurs restreint à 6 pour 18 courses (et séances d'essais) contre 12 pour les CRT. Les moteurs sont munis de plombs pour éviter toute tricherie. Difficile de faire des motos encore plus puissantes, fiables sur plusieurs courses et consommant peu, non ?
Plus de 260 ch et presque 350 km/h
Soit, nous voilà avec de « vrais » chiffres. Voyons ce qu'ils signifient réellement. Sachant que les motos pèsent 160 kg, si l'on y ajoute 21 litres d'essence, soit 16 kg et un pilote de 70 kg tout équipé, on trouve un rapport poids puissance proche de 0,95 kg/ch pilote et essence compris. Voire moins si c'est un Pedrosa de 52 kg (sans équipement).
Tu m'étonnes que ça pousse !
Mais passer 260 chevaux au sol avec une moto de 240 kg relève du casse tête... japonais (les chinois ne sont pas encore à la hauteur!). En effet, il faut sans cesse jouer avec les transferts de charge, afin d'avoir du poids adhérent sur la roue arrière pour éviter de patiner et du poids sur le roue avant pour éviter de partir en wheeling... C'est pour cette raison que les ingénieurs jouent sans cesse sur la position du moteur, celle du pilote, la longueur du bras oscillant, celle du réservoir (position pilote/ et position de l'essence). De fait, ce qu'on gagne d'un coté, on le perd de l'autre.
Tout l'art étant de manier le compromis. L'assistance électronique devient donc une indispensable « béquille » pour résoudre cette quadrature du cercle.
Le big bang à la rescousse
Une autre parade consiste à adoucir le comportement du moteur en travaillant la façon dont il délivre son couple instantané. En effet, sur un quatre cylindres en ligne, le calage moteur régulier fait que la succession des combustions ( temps moteur) et compressions (temps résistant) ne se chevauchent pas. Il n'y a donc pas de compensation naturelle entre les pics et les creux de couple quand on suit le déroulement du cycle 4 temps, cylindre par cylindre, degré par degré de rotation du vilebrequin. Par contre, sur un moteur en V, les cylindres sont couplés 2 à 2 et leurs cycles sont plus rapprochés. Ainsi, la compression du cylindre avant droit se produit-elle pendant la combustion du cylindre arrière droit. Le temps restant est compensé par le temps moteur. La bosse efface le creux, ce qui rend la courbe de couple instantanée plus lisse. Le pneu a donc moins tendance à patiner puisque qu'outre des efforts moins saccadés, il bénéficie de temps de repos plus longs, sans couple ou presque à transmettre. C'est pour se rapprocher de ce comportement moteur que Yamaha a adopté un calage "cross plane" ou big bang sur sa M1... et sa R1 aussi d'ailleurs. Le quatre cylindres en ligne se comporte alors comme un V4.
Des 800 aux 1000 cm3
Initialement limitées à 990 cm3 en 2002, pour contester la suprématie des 500 2 temps, les moto GP sont redescendues à 800 en 2007 pour cause de performances trop élevées. Mais en 2012, il a été décidé de revenir à 1000 cm3 avec toutefois, quelques contraintes techniques supplémentaires pour rendre les moteurs plus "durables". L'alésage maximum a été limité à 81 mm. Une valeur sans doute proche de celle utilisée sur les 800, qui n'obligeait pas forcément à repenser l'intégralité des moteurs. Les culasses par exemple, coûteuses à développer ont sans doute pu être conservées. Les pistons aussi. L'objectif était d'éviter les moteurs "hypercarrés" prenant trop de tours et s'usant rapidement.
Pourquoi tant d'écart avec les CRT ?
Au Qatar, la première CRT a été reléguée à 49 secondes, soit plus de 2 secondes au tour ! C'est à peine moins (44 sec) à Jerez, circuit court. Un résultat d'autant plus surprenant qu'en réalité, compte tenu des problèmes évoqués, les prototypes sont très peu de temps à fond, sans bridage électronique sur un tour. 10% à 15 % du temps maximum. De fait, le surcroît de puissance, ne saurait expliquer autant de différence. La réalité c'est que la gestion électronique des motos d'usines est très supérieure à celle des CRT et qu'elle optimise très largement toutes les phases d'accélération. Ainsi, à chaque sortie de virage, même si le proto n'exploite pas toute sa puissance, il est capable d'en passer beaucoup plus au sol que la CRT et il lui colle un boulevard même aux charges partielles.
C'est comment qu'on freine ?
Aussi impressionnants soient-ils, les freinages des pilotes de moto GP sont d'une intensité courante en automobile (environ 1G) et « ridicules » face à une F1 qui, grâce à l'effet de sol peut freiner à 5 G !!!
Les progrès des pneumatiques n'y peuvent rien, puisque ce qui limite l'intensité du freinage en moto, ce n'est pas le grip au sol, mais la faible longueur d'empattement et la hauteur importante du centre de gravité. La conjonction des deux provoque la bascule de la moto par dessus la roue avant (Stoppie), même sur sol mouillé !
Oh ça penche !!!!
Des coudes serrés contre le réservoir, qui frottent quand même par terre, sont par contre un réel progrès dû aux pneus. Les coefficients d'adhérence atteints aujourd'hui sont d'environ 2. Cela signifie qu'un pneu qui supporte un poids de 100 kg ne va déraper du sol que pour un effort de poussée horizontal de 200 kg !!! (1 d'adhérence signifie que l'effort vertical et l'effort horizontal seraient identiques). Cela permet aux pilotes de pencher à 60°, ce qui correspond à 2 G de force centrifuge ! C'est énorme mais surtout très compliqué à gérer et vous allez comprendre pourquoi la flexibilité des cadres … est un autre casse tête japonais (et italien aussi).
Flexibilité variable
Le fait que la moto et le pilote prennent 2 G en virage, signifie que dans cette situation, la charge appliquée sur les suspensions est énorme et qu'elles sont alors fortement comprimées. Conséquence, pour les enfoncer encore plus, il faudra un effort très important, ce qui ne facilite pas l’absorption naturelle de petites bosses en virage. Voilà qui n'est pas bon pour la tenue de route. Pire, si une bosse de 2 cm de hauteur se présente sous la roue, la suspension n'étant plus du tout dans l'axe de travail, mais inclinée de 60°, elle va devoir se comprimer de 4 cm, pour que la roue monte effectivement de 2 cm... or nous venons de dire qu'elle ne disposait déjà plus d'une bonne partie de sa course... Conséquence, les ingénieurs jouent sur la flexibilité latérale du cadre et du bras oscillant pour absorber en partie les bosses dans ce contexte pour le moins délicat. Là encore, comme pour les transferts de charge, c'est un travail de virtuoses pour manier l'art du compromis afin que la flexibilité assure une tenue de route qui ne soit pas sautillante en courbe et que la rigidité soit suffisante au freinage, comme en ligne droite et dans les courbes rapides. C'est pour cette raison que de très nombreux cadres et bras oscillant sont testés sans cesse, pour s'adapter au circuit et aux sensations du pilote.
RDV au GP de France
A la lumière de cette analyse, on comprend que les motoGP touchent du doigt les limites de la physique et que de fait, les marges de progrès sont de plus en plus faibles. On mesure le savoir faire des équipes et celui des pilotes pour réaliser des chronos avec ces monstres de technologie et de puissance.
http://www.lerepairedesmotards.com/technique/decryptage-motogp.php