oui , cascade de pignon !!!
En 1999, lors du Mondial du deux roues à Paris, Honda nous a une nouvelle fois étonnés. Très agréablement. En présentant cette superbe VTR 1000 SP-1, soit son premier bicylindre quatre temps racing étudié en priorité pour le championnat mondial Superbike, le constructeur devenait le seul des quatre Japonais à se donner les moyens de venir jouer dans la cour des Ducati. Sur les stands voisins, les représentants des autres marques se montraient pour le moins dubitatifs. Comme Christian Bourgeois de Kawasaki Motor France, peu convaincu des chances de la jeune Honda face à l'armada Ducati. Chez Suzuki, après le magistral flop de la TL 1000 R (même en championnat US), on n'abordait même pas le sujet. Enfin, Yamaha entendait bien poursuivre le développement de son quatre cylindres en ligne R 7, d'autant que toute sa gamme sportive fait confiance à la même technologie. Bref, pour Honda, le choix du V twin se montrait d'autant plus risqué et déterminant qu'aucun de ses pairs nippons ne lui emboîtait le pas. Et puis, vint la première course. Et la première victoire, entre les mains de Colin Edwards ! Là, plus personne ne doutait, d'autant que la moto allait régulièrement réitérer l'exploit tout au long de cette année 2000 pour s'adjuger le titre mondial Superbike, ainsi que les 24 Heures du Mans (entre les mains de pilotes français) et les 8 heures de Suzuka ! Carton plein... sur piste. Il nous semblait pourtant dommage qu'une telle machine doive se cantonner aux circuits. Alors, nous avons choisi d'emmener la VTR SP-1 sur nos routes ! Histoire de vérifier si cette magie-là pouvait aussi nous toucher, sans pour autant devoir enfiler une combinaison de cuir.
Rude juste ce qu'il faut
La VTR SP-1 est une magnifique machine, qui dégage incontestablement un parfum agressif mais noble. Compacte, presque râblée avec ses deux silencieux relevés, sa généreuse prise d'air moteur triangulaire flanquée de ses deux optiques sur une face avant étroite, ses ouies de carénage ouvertes sur les fines grilles de radiateurs, la Honda ne manque pas de personnalité. A bord, l'ergonomie japonaise impose ses standards. La position est assez supportable pour une machine de cette trempe. On saisit sans mal les branches tombantes des demi-guidons, le buste en appui sur les poignets, les jambes naturellement pliées. Tout en regrettant une fois de plus que le dessin de cette machine exploite aussi mal l'étroitesse caractéristique du bicylindre en V. Elle est presque aussi large qu'une 600 quatre cylindres ! Cette mini déception passe pourtant vite après le premier coup de démarreur. Le twin Honda s'exprime grassement, chaque accélération visualisée par le compte-tours électronique par baregraphe. Immédiatement aussi, le fameux sifflement (de la distribution par cascade de pignons) propre aux VFR et autres RC 45 filtre au travers du cadre. Les premiers tours de roues nous entraînent dans un monde particulier, rude sans aucun doute, mais suffisamment souple pour y prendre quand même du plaisir hors des circuits. Les commandes douces, la boite rapide et le moteur très attachant sont les meilleurs atouts de cette SP-1. Moins pilon à bas et mi-régime que le VTR 1000 F (dont la course des pistons est supérieure), le SP-1 offre en revanche un couple marqué dés 4 000 tr/min et commence alors à enrouler avec force. S'il vibre moins que son prédécesseur, il se montre aussi plus rugueux en sensations. Tout motard ayant déjà eu le bonheur de piloter un twin transalpin comprendra cette qualité qui fait que l'on sent un moteur travailler sans filtre ni mollesse. Et puis, pointent les premiers virages. La machine se révèle.
La suspension réagit brutalement
Oubliez la souplesse d'une routière, pénétrez dans ce monde d'exigence. Comme une Ducati ou d'autres hypersportives japonaises, la SP-1 vous soumet à sa colonne de direction rigide comme une enclume, sa fourche droite comme un I et copieusement freinée. Il n'y a pas de subtilités là-dedans, simplement une efficacité froide, destinée à un pilotage rigoureux à un rythme d'enfer. Des réglages qui n'en font que mieux apprécier le travail du pneu (Dunlop D 207), dont on ressent presque la carcasse souple et la gomme accrocheuse se déformer au contact du bitume et de ses inégalités. Bref, vous l'aurez compris, voilà le genre de machines qui se pilote avec la tête d'abord, celle qui gère le profil exact d'une courbe, devine à l'avance la présence d'une plaque d'humidité ou d'une autre surprise. Ensuite, il ne lui reste plus qu'à donner les ordres. Aux bras ? Non, au corps entier pour emmener cette moto comme il se doit. Sans conteste, la SP-1 est physique, mais une fois bien assimilé, dévoile un train avant très sûr, rigoureusement soudé au sol. D'une cuisse ferme contre le réservoir, d'un appui sur le repose-pied et d'un contre-braquage précis en entrée de virage, la VTR SP-1 se laisse pencher, aisément à petit rythme, moins à l'attaque... En prenant bien soin de ne pas maintenir trop longtemps les freins (le frein avant est redoutable depuissance, contrairement à l'arrière) qui gèlent systématiquement la direction. Après avoir sélectionné au préalable le bon rapport, maintenez ensuite le tout à au moins 6 000 tr/min. Les chevaux déboulent en force, lancés sans ménagement à l'assaut des 10 000 tr/min. Appréciez cette poussée généreuse, ce souffle profond, puis laissez ensuite inspirer le tout d'une petite pichenette sur le sélecteur. Et recommencez, enfilez les courbes jusqu'à plus soif, en tenant la machine fermement sur la trajectoire. Cette chevauchée se montrerait d'ailleurs encore plus excitante sans cette médiocre suspension arrière. Peu progressive et quasi impossible à régler pour la route, celle-là rebondit brutalement sur les grosses inégalités. Ce qui n'aide pas à piloter cette moto, plutôt lourde pour la catégorie et pardonnant très peu les erreurs. Maintenant, soufflez un peu, revenez à un rythme plus raisonnable. La bulle ridicule vous soumet alors à un flux d'air qui vous soulage les bras du poids du buste. Le moteur lui, est toujours là, très présent.
L'alternative
Sans aucun doute une suspension arrière plus performante changerait-elle notablement la vie à bord, en améliorant le confort sur route et en lui permettant de chasser ces derniers petits dixièmes qui lui manquent encore sur piste face à une concurrence très relevée. Mais d'ores et déjà, cette VTR SP-1 représente une alternative de choix aux quatre cylindres hypersport, aux rudes twins Ducati et aux Aprilia RSV 1000. Enfin, pour répondre à la question que nous posions en intro (cette magie peut-elle nous toucher sur route ?), nous resterons simplement lucides. Certes, grâce à un moteur souple et attachant, cette SP-1 réserve sans nul doute des sensations rares. A condition d'accepter à l'avance un cahier des charges racing avec toutes ses contraintes au quotidien. Braquant très mal, sèche en suspensions, inconfortable à petite vitesse et sur route dégradée, inadaptée au duo, voilà une moto exclusive, autant que les R6, R1, CBR 929 RR ou GSX-R 1000, dont l'achat mérite en conséquence mûre réflexion.